dimanche 2 septembre 2012

GUATEMALA 2001-2002 (BOULOT)


Mon travail au Guatemala avec PAQG-JSI-ECAP

Les petits mots qui s’envolent vers la terre de mes ami(e)s sont perpétuellement empreints de joyeuses aventures et enrobés de magie savourée à belle dent que mes yeux, mes oreilles, mon nez, ma bouche et ma peau transforment en une symphonie transmise à travers ma plume.  S’offre à ma chère personne, une riche expérience dans ce pays rempli de secrets bien discrets (parfois ardus, parfois mystérieux, parfois étonnants) et de trésors (parfois d’une simplicité enfantine, parfois de saveur de la nature souriante, parfois de couleur fort interculturelle).

Deux mois de formation à Montréal…  un premier clin d’œil m’a dépeint une réalité culturelle, sociale, politique au gré ma perception, ma compréhension, mon interprétation et mes attentes tant conscientes qu’inconscientes.  Le 28 septembre 2001, un avion s’envole avec à bord une demoiselle ayant comme bagage: sa soif de défis, son baluchon de savoir et de connaissances, un colis à saveur de sa personnalité et de son vécu et tout naïvement quelques malicieuses brindilles d’idées préconçues et d’attentes stéréotypées ainsi que tout naturellement des douceurs ornées de mis en gardes.  Dans l’espace et dans le temps, je voyage… atterrissant dans un Guatemala accueillant, illuminé par ses contrastes colorés.  Au rythme d’un soupir s’enchaînent une semaine intensive de cours en espagnol (un bain chaudement culturel mais tristement tempéré par des bulles de savon anglicisés) puis une semaine riche en échos socio-politiques avant ma première rencontre (ainsi que mon premier contact officiel.. n’ayant malheureusement point reçu de rétroaction à mes courriels) avec mon organisme partenaire: un centre d’études communautaires et d’action psychosociale.  Ce centre effectue un travail de réparation des dommages causés par la violence politique chez les individus et les groupes sociaux des communautés autochtones tout en réalisant un travail de recherche, d’analyse et de formation sur les thèmes de la guérison sociale, de la question des droits humains, de la lutte contre l’impunité et de divers aspects reliés à la santé mentale.  Sonnant à leur porte avec les faibles attentes, les timides expectatives reliées au poste postulé “intervenante et promoteure en éducation populaire auprès des jeunes et des adultes en milieu rural” et accueillie par des sourires fort professionnels, les premières paroles me propulsent rapidement loin de ma réalité professionnelle naïvement élaborée pour me catapulter dans un univers quelque peu paniquant ayant mandat de “collaboratrice-investigatrice pour un projet d’expertise intitulé “ Effets psychosociaux de la violence politique chez la population autochtone affectée”.  Ma tête tourbillonne au rythme des mini-déceptions (moi, fille de la campagne… me voilà confinée dans un monde urbain étourdissant; moi, professionnelle de terrain en intervention et en formation…. me voilà captée par la recherche, par une investigation purement bibliographique et sans saveur de travail de terrain) ainsi que mes nouvelles appréhensions (… un travail de recherche à fin d’expertise… aïe, aïe, aïe!  Vais-je être à la hauteur pour un projet de telle importance?)

*******************************************************************************************
De la mi-octobre à la mi-décembre 2001, je me transforme littéralement en rat de bibliothèque, en bookworm!  Je dévore systématiquement tous les documents répondant à l’écho des mots violence politique, massacres, guerre, génocide, torture, douleur & deuil, peur, anxiété & dépression, stress post traumatique… Paragraphe en paragraphe, livre en livre, les atrocités des stratégies psychologiques et les horreurs des tortures physiques de la violence politique ainsi que les terreurs, les peurs, les douleurs, les traumatismes nourris par ses 36 ans de conflit armé me sont révélés.  Les semaines filent follement mais ma posture semble s’être figée “yeux et nez derrière un livre et doigts pianotant un clavier d’ordinateur” … seulement les lignes se rajoutant graduellement au rapport rédigé dément l’inaction de ma posture de statue!

Néanmoins, mon état d’âme, mon esprit valse maladroitement au grés des émotions soulevées par mes découvertes bibliographiques.  Les traités de Paix se sont signés officiellement le 29 décembre 1996 mais tristement les intimidations et les menaces directes et indirectes persistent dans cette lutte contre l’impunité, dans cette lutte à la vérité.  Officieusement, les effets psychosociaux n’ont pas disparus avec cette signature bureaucratique.  Les 36 ans de violence politique ont marqué profondément ce pays, plus spécifiquement les communautés autochtones.  Même si les plaies psychosociales ont commencé à se cicatriser doucement (mais parfois encore avec de l’infection et parfois encore saignantes), soulager la douleur, apprivoiser les peurs, récupérer la mémoire et la dignité font partie d’un processus temporellement long et qui doit s’actualiser étroitement avec la récupération psychosociale et la lutte contre l’impunité.  Le monde des livres m’envahit, m’englobe jusqu’à me métamorphoser en hermite.  Plus les livres me livrent leurs secrets plus l’impression de pelleter des nuages se fait persistante et insistante (cette expertise vaut-elle son pesant d’or contre cette machine remplie de corruption niant sa responsabilité?) et plus les mots en perdent sournoisement leurs dimensions, leurs valeurs humaines (ma cape d’hermite m’insensibilise malicieusement en me coupant littéralement de la réalité, du monde de l’émotionnel).

Heureusement, six moments cruciaux redonnent simultanément vie et émotions aux mots lus avec un avec un soupçon d’insensibilité m’obligeant à garder en mémoire que le conflit armé a réellement existé et affecté toute une nation… que le conflit est tout autre que fictif et pure statistique.

24-27 octobre 2001
Ma première visite à Rabinal où premier contact direct avec la souffrance, la douleur, l'espoir à travers les sourires aux yeux tristes, à travers les monuments érigés en souvenir des défunts, à travers les photos des défunts ornant les murs du musée.  (Première visite et non la dernière comme je croyais car n’ayant point de mandat spécifique… mon sens de l’éthique ne voulait pas envahir un espace interrelationnel que trop surchargé!  Perpétuellement initier de nouvelles relations de confiance demande énormément d’énergie et qui sait la quantité de gens, d’intervenant pointent leur nez.  Tristement certaines “ victimes ” ont plus de trois rencontres avec diverses ONG par semaine et le travail, l’économie familiale appauvris s’en ressent encore davantage).

13-15 novembre 2001
IV Congrès international de la psychologie sociale de la libération où les pays participants se contagionnent leurs motivations dans la lutte pour la paix et la justice sociale.

16 novembre 2001
Rencontre avec Elisabeth Lira… professeure universitaire et recherchiste en lien avec la violence politique… m’a contaminé sa motivation de lutter et a sensibilisé l’équipe sur la nécessité d’une recette de survie, de ressourcement (dont mon ingrédient principal au Guatemala sont mes escapades les week-ends!!)

29 novembre 2001
Visite à la Fondation anthropologique forensique où les squelettes crient et pleurent leurs souffrances, leur douleur, leur injustice si sourdement que seul les eux entendent leurs cris et leurs pleurs.

7 décembre 2001
Assistance à une discussion dans un cours de maîtrise où l’autre côté de la médaille du conflit m’est suggéré.

13-14 décembre 2001
Assistance aux rituels et cérémonie d’inhumation dans une communauté autochtone où rage une tempête d’émotions (colère, injustice, douleur au cœur, soulagement de pouvoir dignement enterrer leurs défunts).


*******************************************************************************************
Néanmoins, les trois fins de semaines de vacances durant le temps des fêtes ont été accueillies avec bonheur et satisfaction … pour me réénergiser, me ressourcer, me reposer davantage mentalement que physiquement, pour décanter les frustrations accumulées!  Courir aux rythmes des mots se défilant de livre en livre, pousser un crayon docilement de phrase en phrase, pianoter habilement les lettres sur un clavier électronique…. Essoufflent peu si l’on ne tient point comptes de la tempête d’émotions soulevée par ces mots, ces phrases, ces lettres!

*******************************************************************************************
Mi-janvier à la fin mars 2002
Retour au boulot avec une tempête rongeant mon cœur, mon être: heureuse que les journées de boulot déboulent mais anxieuse de ne point accomplir les objectifs (objectifs davantage délimités par mon sens pratique que par la coordonnatrice et la directrice) dû au temps qui file entre les doigts!

Assidûment, je tente de boucler la boucle de la première partie de cette investigation bibliographique mais sournoisement les livres se bousculent devant mes yeux en charmant ma curiosité, mon intérêt et en jouant avec ma sensibilité avec leur titre, leur couleur, leur contenu..!  Néanmoins, la deuxième partie se fait insistante : vive la recherche d’outil de diagnostique, de tests d’évaluation, d’échelle de comparaison, d’énumération de symptômes… le tout en lien avec les effets psychosociaux de la violence dont le stress post traumatique, la détresse, la douleur psychologique, l’anxiété, la dépression.  Qui sait pourquoi l’être humain a développé ce besoin de tout comparer, de tout relativiser, de tout normaliser, de tout mesurer, de tout quantifier?  N’est-ce point un désir profond de contrôler, de rationaliser, de normaliser l’incontrôlable comme la spontanéité et l’intuition!

De bibliothèque universitaire en bibliothèque universitaire (4 universités richement colorées architecturalement, culturellement et socialement selon les classes sociales privilégiées… dont certaines universités s’enorgueillissent de leur environnement de jardin botanique avec poissons rouges en sus et une bibliothèque ornée de livres en anglais pendant que d’autres luttent pour avoir du matériel adéquat),  de sites web en sites web, je me balade avec l’espoir persévérant de débusquer les grains de sel à travers les grains de sables, la fleur par mise les mauvaises herbes.  Que de tests d’intelligence, de personnalité et d’aptitudes!  Ma persévérance acharnée porte timidement ces fruits… que je ramène sagement au bureau pour en refléter leur saveur dans mon rapport de recherche!

Le petit rat de bibliothèque que je suis à des fourmis dans les jambes… avec le retour des chaleurs et l’odeur des fleurs parfumant la Capitale (on se croirait en printemps européen mais c’est le mois de février chapine!)  délicieusement, quatre activités me sortent discrètement de ma routine:

4-8 février 2002
Assistance à un processus d’exhumation de cimetière clandestin.  Le processus de deuil se réactive, les émotions (colère, cris d’injustice, douleur, frustration, peur, espoirs….) se ravivent.  Que d’espoir de retrouver leurs fils, leur mari, leur père, leur famille malgré la douleur incendiée… pour offrir une dignité au défunt et pour pouvoir vivre.  Parfois, certains préfèrent oublier, effacer le tout de leur mémoire… menaçant et intimidant ceux luttant contre l’impunité et pour la vérité.  Dans la culture maya, la famille du défunt ne peut pas vivre paisiblement aussi longtemps que les défunts ne reposent pas dignement en paix.
Une dame reconnaît son fils grâce aux vêtements en lambeaux.  Je fruste devant la barrière linguistique … mon soutien ne peut que tristement être physique!  “ Elle est heureuse et moi je suis triste ”… fait grincé mon cœur de honte, de gêne!!
Que d’espoir généré par cette exhumation… cruellement assombri par les fosses pratiquement vides et par une loi contrôlante interdisant d’excaver à plus de 10m. du point assigné par la déposition légale même si à 15m gît possiblement la vérité!  Vive de nouveau l’attente, une attente résignée mais bien combative!

Je repars vers la Capitale, bouleversé plus que mon rationnel me l’admettra.
Je voulais voir … et j’ai ressenti!
Je voulais boucler la boucle de mon investigation.. et j’ai découvert un nœud de souffrance!
Je voulais humaniser les mots joliment théoriques de mon investigation… et j’ai été bouleversée par l’intensité de leurs regards!
Je voulais que n’être une présence ponctuelle… et j’ai laissé une tempête d’émotions me bousculer!

26 février-1mars 2002
Semaine de formation avec Carlos Beristain … coordonnateur du rapport “ Guatemala : Jamais plus ”.  Une semaine riche en suggestion, en conseil, en support pour le projet “ d’expertise ” … dont tristement ma collaboration se terminera sous peu!  Les mises au point de Carlos Beristain me donnent des ailes mais le temps restant au six mois les coupe!!!

2-11 mars 2002
Petit séjour au Mexique à courir les bibliothèques universitaires (surtout l’UNAM) et à  rencontrer des personnes ayant à cœur les droits humains.

Le retour au travail routinier ne s’est guère effectué sans égratignure… J’en dois pousser assidûment ma persévérance et ma motivation à l’action! Deux semaines, il me reste… pour boucler ma boucle… pour finaliser mon “ travail d’investigation bibliographique ”!

14 mars 2002
Le visionnement de “ Hija del  Puma ” a mis des images sur les mots, des larmes sur les émotions… le tout tant référé à travers les livres ainsi qu’à travers les témoignages des survivants du conflit armé!

*******************************************************************************************
Ainsi se termine mon six mois d’expérience de travail en cette terre chapine… terre riche en couleur et en trésors mais aussi riche en secrets trop lourds, trop douloureux que l’impunité semble vouloir éterniser!


Voilà mon cheminement professionnel au quotidien … qui se montrait bien discret à travers mes récits d’aventure des fins de semaine!!!!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire