Mon
travail au Guatemala avec PAQG-JSI-ECAP
Les
petits mots qui s’envolent vers la terre de mes ami(e)s sont perpétuellement
empreints de joyeuses aventures et enrobés de magie savourée à belle dent que
mes yeux, mes oreilles, mon nez, ma bouche et ma peau transforment en une
symphonie transmise à travers ma plume.
S’offre à ma chère personne, une riche expérience dans ce pays rempli de
secrets bien discrets (parfois ardus, parfois mystérieux, parfois étonnants) et
de trésors (parfois d’une simplicité enfantine, parfois de saveur de la nature
souriante, parfois de couleur fort interculturelle).
Deux mois
de formation à Montréal… un premier clin
d’œil m’a dépeint une réalité culturelle, sociale, politique au gré ma
perception, ma compréhension, mon interprétation et mes attentes tant
conscientes qu’inconscientes. Le 28
septembre 2001, un avion s’envole avec à bord une demoiselle ayant comme
bagage: sa soif de défis, son baluchon de savoir et de connaissances, un colis
à saveur de sa personnalité et de son vécu et tout naïvement quelques
malicieuses brindilles d’idées préconçues et d’attentes stéréotypées ainsi que
tout naturellement des douceurs ornées de mis en gardes. Dans l’espace et dans le temps, je voyage…
atterrissant dans un Guatemala accueillant, illuminé par ses contrastes
colorés. Au rythme d’un soupir
s’enchaînent une semaine intensive de cours en espagnol (un bain chaudement
culturel mais tristement tempéré par des bulles de savon anglicisés) puis une
semaine riche en échos socio-politiques avant ma première rencontre (ainsi que
mon premier contact officiel.. n’ayant malheureusement point reçu de
rétroaction à mes courriels) avec mon organisme partenaire: un centre d’études
communautaires et d’action psychosociale.
Ce centre effectue un travail de réparation des dommages causés par la
violence politique chez les individus et les groupes sociaux des communautés
autochtones tout en réalisant un travail de recherche, d’analyse et de
formation sur les thèmes de la guérison sociale, de la question des droits
humains, de la lutte contre l’impunité et de divers aspects reliés à la santé
mentale. Sonnant à leur porte avec les
faibles attentes, les timides expectatives reliées au poste postulé
“intervenante et promoteure en éducation populaire auprès des jeunes et des
adultes en milieu rural” et accueillie par des sourires fort professionnels,
les premières paroles me propulsent rapidement loin de ma réalité
professionnelle naïvement élaborée pour me catapulter dans un univers quelque
peu paniquant ayant mandat de “collaboratrice-investigatrice pour un projet
d’expertise intitulé “ Effets psychosociaux de la violence politique chez
la population autochtone affectée”. Ma
tête tourbillonne au rythme des mini-déceptions (moi, fille de la campagne… me
voilà confinée dans un monde urbain étourdissant; moi, professionnelle de
terrain en intervention et en formation…. me voilà captée par la recherche, par
une investigation purement bibliographique et sans saveur de travail de
terrain) ainsi que mes nouvelles appréhensions (… un travail de recherche à
fin d’expertise… aïe, aïe, aïe! Vais-je
être à la hauteur pour un projet de telle importance?)
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De la
mi-octobre à la mi-décembre 2001, je me transforme littéralement en rat de
bibliothèque, en bookworm! Je
dévore systématiquement tous les documents répondant à l’écho des mots violence
politique, massacres, guerre, génocide, torture, douleur & deuil, peur,
anxiété & dépression, stress post traumatique… Paragraphe en
paragraphe, livre en livre, les atrocités des stratégies psychologiques et les
horreurs des tortures physiques de la violence politique ainsi que les
terreurs, les peurs, les douleurs, les traumatismes nourris par ses 36 ans de
conflit armé me sont révélés. Les
semaines filent follement mais ma posture semble s’être figée “yeux et nez
derrière un livre et doigts pianotant un clavier d’ordinateur” … seulement les
lignes se rajoutant graduellement au rapport rédigé dément l’inaction de ma
posture de statue!
Néanmoins,
mon état d’âme, mon esprit valse maladroitement au grés des émotions soulevées
par mes découvertes bibliographiques.
Les traités de Paix se sont signés officiellement le 29 décembre 1996
mais tristement les intimidations et les menaces directes et indirectes
persistent dans cette lutte contre l’impunité, dans cette lutte à la
vérité. Officieusement, les effets
psychosociaux n’ont pas disparus avec cette signature bureaucratique. Les 36 ans de violence politique ont marqué
profondément ce pays, plus spécifiquement les communautés autochtones. Même si les plaies psychosociales ont
commencé à se cicatriser doucement (mais parfois encore avec de l’infection et
parfois encore saignantes), soulager la douleur, apprivoiser les peurs,
récupérer la mémoire et la dignité font partie d’un processus
temporellement long et qui doit s’actualiser étroitement avec la récupération
psychosociale et la lutte contre l’impunité.
Le monde des livres m’envahit, m’englobe jusqu’à me métamorphoser en
hermite. Plus les livres me livrent
leurs secrets plus l’impression de pelleter des nuages se fait persistante et
insistante (cette expertise vaut-elle son pesant d’or contre cette machine
remplie de corruption niant sa responsabilité?) et plus les mots en perdent
sournoisement leurs dimensions, leurs valeurs humaines (ma cape d’hermite
m’insensibilise malicieusement en me coupant littéralement de la réalité, du
monde de l’émotionnel).
Heureusement,
six moments cruciaux redonnent simultanément vie et émotions aux mots lus avec
un avec un soupçon d’insensibilité m’obligeant à garder en mémoire que le
conflit armé a réellement existé et affecté toute une nation… que le conflit
est tout autre que fictif et pure statistique.
24-27
octobre 2001
Ma
première visite à Rabinal où premier contact direct avec la souffrance, la
douleur, l'espoir à travers les sourires aux yeux tristes, à travers les
monuments érigés en souvenir des défunts, à travers les photos des défunts
ornant les murs du musée. (Première
visite et non la dernière comme je croyais car n’ayant point de mandat
spécifique… mon sens de l’éthique ne voulait pas envahir un espace
interrelationnel que trop surchargé!
Perpétuellement initier de nouvelles relations de confiance demande
énormément d’énergie et qui sait la quantité de gens, d’intervenant pointent
leur nez. Tristement certaines
“ victimes ” ont plus de trois rencontres avec diverses ONG par
semaine et le travail, l’économie familiale appauvris s’en ressent encore
davantage).
13-15
novembre 2001
IV
Congrès international de la psychologie sociale de la libération où les pays
participants se contagionnent leurs motivations dans la lutte pour la paix et
la justice sociale.
16
novembre 2001
Rencontre
avec Elisabeth Lira… professeure universitaire et recherchiste en lien avec la
violence politique… m’a contaminé sa motivation de lutter et a sensibilisé
l’équipe sur la nécessité d’une recette de survie, de ressourcement (dont mon
ingrédient principal au Guatemala sont mes escapades les week-ends!!)
29
novembre 2001
Visite à
la Fondation anthropologique forensique où les squelettes crient et pleurent
leurs souffrances, leur douleur, leur injustice si sourdement que seul les eux
entendent leurs cris et leurs pleurs.
7
décembre 2001
Assistance
à une discussion dans un cours de maîtrise où l’autre côté de la médaille du
conflit m’est suggéré.
13-14
décembre 2001
Assistance
aux rituels et cérémonie d’inhumation dans une communauté autochtone où rage
une tempête d’émotions (colère, injustice, douleur au cœur, soulagement de
pouvoir dignement enterrer leurs défunts).
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Néanmoins,
les trois fins de semaines de vacances durant le temps des fêtes ont été
accueillies avec bonheur et satisfaction … pour me réénergiser, me ressourcer,
me reposer davantage mentalement que physiquement, pour décanter les
frustrations accumulées! Courir aux
rythmes des mots se défilant de livre en livre, pousser un crayon docilement de
phrase en phrase, pianoter habilement les lettres sur un clavier électronique….
Essoufflent peu si l’on ne tient point comptes de la tempête d’émotions
soulevée par ces mots, ces phrases, ces lettres!
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Mi-janvier à la fin mars 2002
Retour au
boulot avec une tempête rongeant mon cœur, mon être: heureuse que les journées
de boulot déboulent mais anxieuse de ne point accomplir les objectifs
(objectifs davantage délimités par mon sens pratique que par la coordonnatrice
et la directrice) dû au temps qui file entre les doigts!
Assidûment,
je tente de boucler la boucle de la première partie de cette investigation
bibliographique mais sournoisement les livres se bousculent devant mes yeux en
charmant ma curiosité, mon intérêt et en jouant avec ma sensibilité avec leur
titre, leur couleur, leur contenu..!
Néanmoins, la deuxième partie se fait insistante : vive la
recherche d’outil de diagnostique, de tests d’évaluation, d’échelle de comparaison,
d’énumération de symptômes… le tout en lien avec les effets psychosociaux de la
violence dont le stress post traumatique, la détresse, la douleur
psychologique, l’anxiété, la dépression.
Qui sait pourquoi l’être humain a développé ce besoin de tout comparer,
de tout relativiser, de tout normaliser, de tout mesurer, de tout
quantifier? N’est-ce point un désir
profond de contrôler, de rationaliser, de normaliser l’incontrôlable comme la
spontanéité et l’intuition!
De
bibliothèque universitaire en bibliothèque universitaire (4 universités richement
colorées architecturalement, culturellement et socialement selon les classes
sociales privilégiées… dont certaines universités s’enorgueillissent de leur
environnement de jardin botanique avec poissons rouges en sus et une
bibliothèque ornée de livres en anglais pendant que d’autres luttent pour avoir
du matériel adéquat), de sites web en
sites web, je me balade avec l’espoir persévérant de débusquer les grains de
sel à travers les grains de sables, la fleur par mise les mauvaises
herbes. Que de tests d’intelligence, de
personnalité et d’aptitudes! Ma
persévérance acharnée porte timidement ces fruits… que je ramène sagement au
bureau pour en refléter leur saveur dans mon rapport de recherche!
Le petit
rat de bibliothèque que je suis à des fourmis dans les jambes… avec le retour
des chaleurs et l’odeur des fleurs parfumant la Capitale (on se croirait en
printemps européen mais c’est le mois de février chapine!) délicieusement, quatre activités me sortent
discrètement de ma routine:
4-8
février 2002
Assistance
à un processus d’exhumation de cimetière clandestin. Le processus de deuil se réactive, les
émotions (colère, cris d’injustice, douleur, frustration, peur, espoirs….) se
ravivent. Que d’espoir de retrouver
leurs fils, leur mari, leur père, leur famille malgré la douleur incendiée…
pour offrir une dignité au défunt et pour pouvoir vivre. Parfois, certains préfèrent oublier, effacer
le tout de leur mémoire… menaçant et intimidant ceux luttant contre l’impunité
et pour la vérité. Dans la culture maya,
la famille du défunt ne peut pas vivre paisiblement aussi longtemps que les
défunts ne reposent pas dignement en paix.
Une dame
reconnaît son fils grâce aux vêtements en lambeaux. Je fruste devant la barrière linguistique …
mon soutien ne peut que tristement être physique! “ Elle est heureuse et moi je suis
triste ”… fait grincé mon cœur de honte, de gêne!!
Que
d’espoir généré par cette exhumation… cruellement assombri par les fosses
pratiquement vides et par une loi contrôlante interdisant d’excaver à plus de
10m. du point assigné par la déposition légale même si à 15m gît possiblement
la vérité! Vive de nouveau l’attente,
une attente résignée mais bien combative!
Je repars
vers la Capitale, bouleversé plus que mon rationnel me l’admettra.
Je voulais
voir … et j’ai ressenti!
Je
voulais boucler la boucle de mon investigation.. et j’ai découvert un nœud de
souffrance!
Je
voulais humaniser les mots joliment théoriques de mon investigation… et j’ai
été bouleversée par l’intensité de leurs regards!
Je voulais
que n’être une présence ponctuelle… et j’ai laissé une tempête d’émotions me
bousculer!
26
février-1mars 2002
Semaine
de formation avec Carlos Beristain … coordonnateur du rapport
“ Guatemala : Jamais plus ”.
Une semaine riche en suggestion, en conseil, en support pour le projet
“ d’expertise ” … dont tristement ma collaboration se terminera sous
peu! Les mises au point de Carlos
Beristain me donnent des ailes mais le temps restant au six mois les coupe!!!
2-11 mars
2002
Petit
séjour au Mexique à courir les bibliothèques universitaires (surtout l’UNAM) et
à rencontrer des personnes ayant à cœur
les droits humains.
Le retour
au travail routinier ne s’est guère effectué sans égratignure… J’en dois
pousser assidûment ma persévérance et ma motivation à l’action! Deux semaines,
il me reste… pour boucler ma boucle… pour finaliser mon “ travail
d’investigation bibliographique ”!
14 mars
2002
Le
visionnement de “ Hija del
Puma ” a mis des images sur les mots, des larmes sur les émotions…
le tout tant référé à travers les livres ainsi qu’à travers les témoignages des
survivants du conflit armé!
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Ainsi se
termine mon six mois d’expérience de travail en cette terre chapine… terre
riche en couleur et en trésors mais aussi riche en secrets trop lourds, trop
douloureux que l’impunité semble vouloir éterniser!
Voilà mon
cheminement professionnel au quotidien … qui se montrait bien discret à travers
mes récits d’aventure des fins de semaine!!!!